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La démocratie bourgeoise et le piège à cons

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Gwénaël

Gwénaël

L'une des principales critiques de l'État faite par les anarchistes, français notamment, concerne sa forme démocratique bourgeoise, car elle constitue selon eux le frein principal à la révolution. Élections, piège à cons, ou, pour le dire avec les mots de Bakounine : « le suffrage universel, considéré à lui tout seul et agissant dans une société fondée sur l'inégalité économique et sociale, ne sera jamais pour le peuple qu'un leurre ; de la part des démocrates bourgeois, il ne sera jamais rien qu'un odieux mensonge, l'instrument le plus sûr pour conso­lider, avec une apparence de libéralisme et de justice, au détriment des intérêts et de la liberté populaires, l'éternelle domination des classes exploitantes et possédantes » (Œuvres, Bakounine, P.V. Stock, 1895-1913, volume IV, 195).
Certes, ce qui est visé derrière l'attaque de la démocratie représentative, c'est avant tout le capitalisme, mais les critiques finissent par s'amalgamer et, au final, on jette le bébé démocratique avec l'eau du bain capitaliste.
Or, Orwell met en garde, dans un article paru en février 1941, contre la tentation d'une critique qui viserait à délégitimer le système démocratique.

« Au cours des 20 dernières années, la démocratie « bourgeoise » a été attaquée de manière (...) subtile à la fois par les fascistes et par les communistes, il est tout à fait significatif que ces ennemis apparents l'aient toutes attaquées pour les mêmes raisons (...). L'assertion de base de tous les apologues du totalitarisme est que la démocratie est une escroquerie. Elle ne serait rien d'autre qu'un voile dissimulant la position dominante de quelques petits groupes de riches. Ce n'est pas tout à fait faux, et surtout ce n'est pas manifestement faux (...). Pour commencer, on fait toujours valoir que la démocratie « bourgeoise » est réfutée par l'inégalité économique. À quoi peut servir la prétendue liberté politique quand un homme travaille douze heures par jour pour trois livres par semaine ? Une fois tous les cinq ans, on lui permet peut-être de voter pour le parti qu'il préfère mais, le reste du temps, presque tous les détails de sa vie sont dictées par son employeur. Et, en pratique, sa vie politique lui est également dictée. la classe aisée peut mettre la main sur tous les postes ministériels et officiels, elle peut aussi utiliser le système électoral en sa faveur en soudoyant l'électorat, directement ou indirectement. Même quand, par mésaventure, un gouvernement représentant les classes plus pauvres obtient le pouvoir, les riches peuvent en général le faire chanter en menaçant d'exporter leurs capitaux. Plus important encore est le fait que presque toute la vie culturelle et intellectuelle de la communauté – journaux, livres, éducation, cinéma, radio – est contrôlée par des riches qui ont toutes les raisons d'empêcher la propagation de certaines idées. Les citoyens d'un pays démocratique est « conditionné » dès la naissance, moins rigoureusement mais tout aussi effectivement qu'ils ne seraient dans un État totalitaire.
(...) En outre, on affirme souvent que toute la façade de la démocratie – liberté de parole et de réunion, indépendance des syndicats et ainsi de suite – ne pourra que s'effondrer une fois que les classes aisées auront perdu la possibilité de faire des concessions à leurs employés.

La démocratie bourgeoise et le piège à cons Couv_1843

Voilà, grosso modo, les arguments contre la démocratie « bourgeoise » avancée par les fascistes et les communistes, bien qu'avec quelques différences d'accent.
(...) Ce qui est faux dans ce dénigrement classique de la démocratie est qu'il est incapable de donner une explication complète des faits. Les différences réelles dans l'ambiance sociale et politique de chaque pays sont bien plus importantes que ne peut l'expliquer une théorie qui écarterait les lois, les usages, les traditions, etc., comme n'étant que des « superstructures ». Sur le papier, il est très sain de démontrer que la démocratie « n'est que » (ou « n'est pas meilleure que ») le totalitarisme. Il y a des camps de concentration en Allemagne ; mais il y a des camps de concentration en Inde. Les Juifs sont persécutés partout où règne le fascisme ; mais qu'en est-il des lois sur la couleur de la peau en Afrique du Sud ? L'honnêteté intellectuelle est un crime dans tous les pays totalitaires ; mais même en Angleterre, il n'est pas vraiment rentable de dire et écrire la vérité. Ces parallèles peuvent être poursuivis à l'infini. Cependant, l'argument sous-entendu d'un bout à l'autre est qu'une différence de degré n'est pas une différence.
(...) Lorsque le véritable mouvement socialiste anglais apparaîtra (...), il sera à la fois révolutionnaire et démocratique. Il aura pour but les transformations les plus fondamentales et acceptera d'utiliser la violence si besoin est. Mais il acceptera également que toutes les cultures ne sont pas les mêmes, que les traditions et les sentiments nationaux doivent être respectés si les révolutions doivent réussir, que l'Angleterre n'est pas la Russie – ni la Chine, ni l'Inde. Il comprendra que la démocratie britannique n'est pas un mensonge complet, n'est pas simplement une « superstructure », qu'au contraire elle est quelque chose d'extrêmement précieux qui doit être préservé, étendu et, surtout, qu'il ne faut pas insulter. »[1]

Que penser de cette défense de la démocratie ? Tout d'abord, il convient de noter qu'Orwell ne nie pas que la démocratie représentative concoure à la perpétuation des pouvoirs représentant les intérêts de la classe bourgeoise, mais il insiste sur la nécessité de protéger le système démocratique, malgré ses imperfections structurelles. Toutefois, on peut lui opposer que la critique est une des conditions essentielles sans laquelle une démocratie cesse de l'être complètement.
C'est le point de vue que défend le sociologue Alain Caillé lorsqu'il écrit que « la démocratie ne reste vivante et effective – même si, nous en sommes bien d’accord, elle est toujours imparfaite – qu’aussi longtemps qu’elle entretient le doute sur elle-même et sur son degré d’effectivité ; qu’elle se pense comme une réalité à édifier et à préserver et non comme une institution toute faite, parachevée une fois pour toutes, capable de fonctionner toute seule, sans vertus démocratiques et sans démocrates. Dès lors au contraire qu’elle interdit tout doute sur son effectivité comme sur ses principes fondateurs, elle me semble menacée de vaciller et de disparaître ». [2]

De même, l'amalgame entre totalitarisme et démocratie s'appuierait, selon Orwell, sur le fait que « l'argument sous-entendu d'un bout à l'autre est qu'une différence de degré n'est pas une différence. » Mais alors, si une différence de degré représente une différence de nature, n'est-il pas légitime de se poser « la question de savoir jusqu’où et jusqu’à quand des oligarchies ploutocratiques restent des démocraties » ? [3]

[1] George Orwell, Écrits politiques (1928-1949), Éditions Agone, 2009, pp.163 à 175.
[2] Alain Caillé, "Democratic swing", Revue du MAUSS, 2005, n°25, p.42.
[3] Alain Caillé, op. cit.

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